jeudi 6 mars 2008

Croyance et incroyance chez Czeslaw Milocz

Pour compléter le premier texte de ce blog portant sur la coexistence permanente entre croyance et incroyance, je vous donne un texte du prix nobel de littérature polonais Czeslaw Milosz, extrait du livre Le Chien Mandarin (Mille-et-une nuits, 2004) que j'ai relu récemment. L'auteur, fervent catholique, y témoigne de son oscillation existentielle entre le croire et le doute et s'inscrit pleinement dans la problématique de recherches que j'avais proposé :

J'ai été un homme profondément croyant. J'ai été un homme totalement incroyant. La contradiction est si flagrante que je ne sais pas comment vivre avec. Elle a éveillé en moi le soupçon que la signification profonde du verbe "croire" est encore à creuser, peut-être parce que croire est une démarche qui implique plus la vie de la communauté humaine que la psychologie de l'individu. Ni la langue employée par les communautés religieuses ni celles des athées n'ont favorisé la réflexion sur le sens de ce verbe.
J'ai souvent l'impression que l'explication est tout près, qu'elle est en quelque sorte en suspens et que beaucoup s'écrieront, à peine sera-t-elle mise en mots : "Mais oui, bien sûr ! C'est exactement mon cas !"
Ces gens sont ici, à côté de moi, dans l'église. Ils font un signe de croix, se lèvent, s'agenouillent, et je devine qu'il se passe dans leurs têtes la même chose que dans la mienne, c'est-à-dire qu'ils veulent plus croire qu'ils ne croient, ou alors qu'ils croient par périodes. Cela ne se passe probablement pas exactement de la même manière chez tout le monde, mais comment est-ce que cela se passe ? Tout permet de penser qu'il y a quelques centaines d'années, la signification de ce mot devait être différente, pour que dès le dix-septième siècle Pascal ait noter "Nier, croire et douter sont à l'homme ce que le courir est au cheval" et qu'au dix-neuvième siècle, Emily Dickinson ait dit : "Je crois et je ne crois pas cent fois par heure, ce qui laisse à ma foi de la souplesse". Etre avec eux, dans une église, est plus important que raisonner selon ses critères personnels - la plupart des personnes rassemblées dans l'église ne ressentent-elles pas et ne pensent-elles pas la même chose, fournissant une occasion de se plaindre de la religion rituelle tout en accomplissant un acte d'humilité ?
Peut-être suis-je assez près pour dire : "C'est chaud, je brûle !", quand j'ai une vision soudaine de toute l'assemblée nue : des créatures animales des deux sexes, avec leur pilosité, leur sexe, leurs déformations exposées à la vue, s'unissant dans un rite d'adoration immatérielle. Que peut-il y avoir de plus extraordinaire ? (p. 17-18)


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